
Dégradation par Benjamin Myers | Lectures
Il s’agit d’un roman policier dont le héros est le personnage principal d’une série d’ouvrages. James Brindle fait partie des enquêteurs d’une branche de la police anglaise spécialisée dans les cas les plus difficiles et bénéficiant des derniers atouts technologiques.
Brindle, jeune policier miné par des troubles obsessionnels compulsifs, est envoyé enquêter dans une région assez reculée du nord de l’Angleterre. Une adolescente, Melany Muncy, a disparu lors d’une promenade sur la lande. Les méthodes de Brindle contrastent fortement avec celles des policiers locaux. D’autant plus qu’ici tout le monde se connait et cette disparition va faire ressortir de sombres histoires dans lesquelles trempent la plupart des personnes influentes du village.
L’enquête va mener Brindle sur les traces d’un porcher vivant seul dans une ferme insalubre et dont les seuls habitants sont des cochons, des poules affamées et quelques chiens.
Le ton est ainsi donné très rapidement : la nature est laide lorsqu’elle est regardée crûment, qu’il s’agisse de la nature végétale et animale ou des penchants de certains humains pour la dépravation. Le récit nous mènera dans un ancien cinéma porno, sur une lande battue par les vents, près d’un lac artificiel et dans une ferme où tout pourrit – y compris l’âme humaine.
D’ailleurs le style même d’écriture renforce cette impression de nager en eaux troubles, noirâtres et fangeuses. En effet, l’auteur n’utilise quasiment jamais la virgule (peut-être même jamais : je n’ai pas relu le livre pour vérifier). Cela rend la lecture assez difficile bien que les phrases soient courtes et s’enchainent à un rythme effréné. De plus, il n’utilise jamais de tiret quart-cadratin pour les dialogues, ce qui fait qu’il est parfois difficile de savoir avec certitude qui est en train de parler. Heureusement, la plupart des discours rapportés le sont entre deux interlocuteurs et l’on finit par s’habituer à cette absence, bien qu’elle m’ait gêné jusqu’à la fin du livre.
Parlons-en de la fin du livre, d’ailleurs : alors que l’intrigue peinait à débuter, que l’auteur jonglait entre les points de vue de différents personnages, le dernier quart de l’histoire commence enfin à décoller et devient plus fluide. Et c’est lorsque je commençais tout juste à m’habituer au style, à l’absence de virgules et tirets de dialogues, aux personnages un peu extrêmes (seuls Brindle et le tueur sont des personnages intéressants et assez bien caractérisés) que le récit arrive à sa conclusion. Et certaines questions n’auront pas de réponse.
Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, mais il y a trop d’éléments dont on aimerait connaitre l’épilogue pour que cette absence de clôture soit satisfaisante. Beaucoup trop de personnages importants pour l’intrigue mais restés dans l’ombre tout au long du livre n’auront droit à aucun indice quant à leur devenir.
Bref, cette histoire me laisse un goût mitigé et l’envie de l’oublier en lisant autre chose. Ce qui est dommage car le style de l’auteur, bien que gênant, change des habituels poncifs de la littérature à suspens.
Style dont je vous laisse juge avec l’extrait suivant (je vous recommande de le lire aussi dans la description afin de voir la syntaxe particulière et le rythme créé par les phrases courtes et les retours à la ligne) :
L’homme lance la clé. Loin. L’absence de toute hésitation affole son cœur. Il n’entend pas le petit objet métallique frapper la surface du lac.
Le vent forcit.
Il se détourne et balance ses jambes par-dessus bord. Plonge ses pieds dans l’eau. Le froid le saisit. Il soulève le premier bloc et le pose sur sa cuisse. Le second suit. Ils sont l’un sur l’autre à présent. Empilés. Il est transformé en hotte de maçon.
Il tend la chaine enroulée au fond de la barque. S’assure que rien ne la coince.
Maintient fermement les parpaings.
Et repense à elle. A son visage.
Ce jour-là dans la neige.
En hiver.
Tout en haut.
Il repense à son visage. A son odeur.
A tous les visages. Tous leurs visages.
A tous les secrets emprisonnés en lui. Il les emportera. Il repense à tous ces hommes vaincus. Et songe à la victoire – enfin. La victoire sur les collines sur le village sur la ville. Sur tout et tout le monde.
Il repense à sa mère.
Puis il pousse les parpaings dans le lac et entend ferrailler la chaîne rouillée qui se précipite vers le noir et l’argent.